Si un grand frère ou une grande sœur veut bien expliquer le pourquoi du comment, je suis à l’écoute. Mais je pense avoir ma petite idée.
Les petits frères sont des assistants personnels
« Tu peux chercher mon chargeur dans la chambre ? » « Tu peux vérifier que j’ai bien éteint le four ? » « Je passe à la maison, tu peux mettre une marmite d’eau chaude pour des pâtes le temps que j’arrive ? » D’aucuns parmi les petits frères se seront vu attribuer, dès les premières années ayant suivi celles où ils ont appris à marcher, un contrat d’assistant personnel. Et de la part de qui ? De leurs grands frères et de leurs grandes sœurs, figures inamovibles de l’autorité après leurs parents dans les familles où la hiérarchie prime sur tout et malgré tout.
Qui, parmi mes lectrices ou lecteurs ayant un frère plus âgé, n’a pas été soumise ou soumis aux commissions en tous genres, poussant les canapés à la recherche d’un bouchon de stylo BIC ou allant imprimer des documents « super importants » au taxiphone, un dimanche soir avant l’heure du coucher ? Et si le calvaire des survivants a cessé (dans une certaine mesure…), l’âge adulte ayant effacé d’une certaine manière la distance qui séparait nettement le grand frère du plus jeune, force est de constater que certains automatismes persistent encore, parfois à l’insu d’un grand frère ou d’une grande sœur repenti ou repenti et désireux de bien faire.
Les grands frères ont du mérite
On comprend le pourquoi de ce parfum de respectabilité que répand le titre presque honorifique de « grand frère » ou de « grande sœur » . C’est une dénomination qui, dans certaines langues, précède le nom du frère ou de la sœur en question – certains parents veillent à ce que les cadets ne prennent jamais la liberté d’appeler leurs aînés par leur nom uniquement.
Observons, en tant qu’ « enfant du milieu », la situation dans son ensemble : c’est aux grands frères que les parents transmettent les valeurs les plus importantes. Elles contiennent le parfum frais du pays qu’ils viennent de quitter ainsi que l’ADN des aïeux par qui ces précieuses visions du monde nous sont connues. Ajoutons à cela les responsabilités très grandes que les parents ont pu leur confier, inhérentes parfois à des situations très particulières et délicates. Enfin, on loue souvent les aînés pour leur indépendance, directement liée aux points cités auparavant, et se traduit par un sens de l’initiative très spontané, une audace infaillible et un courage à tout épreuve.
L’idée qu’un nouveau processus de transmission aurait gommé des traditions, la faute aux frères les plus jeunes, ceux qui seraient nés après le tumulte et la tempête, confirme la culpabilité de ces derniers. Elle nourrit cette idée, avec une sévérité plus ou moins prononcée, que les cadets mènent la dolce vita, conclusion décevante d’un récit familial fondé sur le sens de l’effort et l’expérience de la souffrance.
Mais pourquoi, mon Dieu, les grands frères pensent-ils cela; et pourquoi les petits frères sont-ils si malmenés ?
Parce que tout est une question d’âge
Certains grands frères sont convaincus que les responsabilités et les difficultés sont proportionnelles à l’âge que vous avez. Plus vous êtes âgé et plus, naturellement, vous prenez de la place dans l’organigramme familial – avec les responsabilités qui accompagnent cette promotion. De même, un trentenaire est bien souvent marié, parent, et cette nouvelle dynamique instaure de nouvelles priorités que les frères plus jeunes – à moins de s’être également mariés – ne connaîtraient pas.
Parce qu’ils relativisent certaines situations
C’est le calme après la tempête. La vie étudiante, les errements qui précèdent parfois la signature du premier contrat d’embauche, les indicibles périodes d’incertitude – et les états d’âme impossibles à confier – échappent lorsque ces défis n’existent plus depuis une lurette. Le confort et le sentiment de sécurité ou d’accomplissement personnel occultent les périodes sombres que rencontrent les plus jeunes. Quand les aînés en prendraient connaissance, ce serait pour relativiser leur portée, ou parfois minimiser des situations qu’ils voient à travers le voile du contentement de soi.
Parce que tout est plus facile pour les plus jeunes
Les émotions intenses qu’on vit semblent faire partie d’une expérience unique, propre à une époque révolue. A posteriori, on pense que ces expériences étaient nécessaires et ne se renouvelleront pas chez les autres. Aussi certains aînés semblent croire que les cadets sont préservés des difficultés qu’ils ont connues, convaincus qu’une nouvelle ère riche en opportunités faciles à saisir leur épargne les avanies et embûches. Bercés parfois par l’idée qu’ils ont été des facilitateurs pour leurs petits frères, ils se persuadent que seule une expérience « à la dure » leur permettra d’apprécier les choses comme il le faut, c’est-à-dire avec reconnaissance et humilité.
Parce qu’on le vaut bien
Vous n’aviez tout de même pas oublié le contenu du début de l’article : vous êtes les plus jeunes ! La hiérarchie reste très fortement ancrée dans les mentalités, pour le meilleur et pour le pire. Les pensées des frères les plus jeunes sont inaccessibles, difficiles à décoder pour les aînés, et je voudrais bien savoir pourquoi. Il m’est arrivé de rencontrer en dehors du cercle familial des filles plus âgées, et qui se sentaient obligées de me prendre sous leur aile… Cette attitude est spontanée, mais sa symbolique est à nuancer : ces démarches sont parfois innocentes et motivées par le désir de fraterniser.
Trouver un terrain d’entente
Finissons cet article en se rappelant à quel point les repères que nous ont transmis nos parents sont importants. Le relations intrafamiliales, plus précisément entre aînés et cadets, font partie de cet énorme capital qu’ils se sont appliqués à fortifier et préserver tout au long de notre enfance. C’est un leg hors de prix que nos parents nous ont ainsi légué, et qu’il nous appartient de faire vivre dans le respect et l’entraide mutuels.
Il semble toutefois nécessaire de le rappeler : grands et petits font l’expérience de la vie. L’image des grands frères travailleurs et des cadets paresseux est une division qu’il me semble nécessaire de dépasser. D’une part, parce qu’il y a autant de familles que de profils, et d’autre part parce que les époques ont beau abolir des contraintes, elles n’en imposent pas moins des contreparties. Aussi les cadets, ceux qui restent, ceux qui sont encore à la maison, font autant face à l’adversité que les aînés du temps qu’ils vivaient avec les parents. La situation est d’autant plus difficile à vivre pour certains que cette réalité échappe à beaucoup de personnes, même aux parents vieillissant, nostalgiques au souvenir de la jeunesse des premiers-nés – et la leur également.
Prendre conscience, ou à défaut porter un bon soupçon au sujet du mode de vie des frères cadets pourrait être un vecteur permettant de dépasser certains a priori, apporter un soutien et des conseils avisés. Et c’est encore mieux lorsqu’on s’implique de part et d’autre dans le maintien de ces engagements : il est plus que jamais temps de resserrer les liens dans une meilleure optique et perpétuer les efforts de nos parents.
1 Comment
C’est rassurant à lire, tu as dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas.