L’univers de Jane Austen

Dans le cadre de mes études, j’ai souvent eu affaire à Jane Austen. La littérature féminine du XVIIIème siècle, même francophone, abonde de textes et d’idéaux recoupant l’univers de l’autrice anglaise.

Hors des bornes spatio-temporelles

Inutile de s’attarder à le démontrer : cinéastes et auteurs aiment réadapter ou pasticher Jane Austen. Que l’action prenne place à l’époque géorgienne ou de nos jours, la teneur de l’intrigue, même dans sa version originale – bien que certaines reprises apportent leurs lectures personnelles – montrent que la trame principale survit à l’épreuve du temps. Dans certains cas, elle se moule sans efforts dans les décors de sociétés non occidentales. Du moins, c’est ce que l’on peut avancer lorsqu’on pense aux sociétés conservatrices, où le schéma matrimonial traditionnel reste pratiqué et où les principes demeurent inamovibles.

Cela peut surprendre (ou non), mais l’écosystème décrit par Jane Austen trouve un curieux écho dans les éléments de la vie quotidienne des jeunes femmes de la diaspora. En effet, c’est toute une existence que l’on imprègne de principes traditionnels. Les étapes essentielles marquant l’existence des héroïnes prennent leur sens dans ce système de valeurs qui attribue à chacun une place, des objectifs bien spécifiques.

Il n’y a pas que le mariage qui compte

La question du mariage est prépondérante dans l’œuvre de l’autrice. Elle revêt toujours une couleur différente dans chacune de ses œuvres. Quand cette thématique est traitée avec un humour cruel, c’est bien meilleur : la lectrice trouve un écho à son quotidien.

Mais le trait particulier de l’autrice, c’est que ses oeuvres sont des romans d’apprentissage. Cela signifie que le personnage évolue dans un environnement et, à force de désillusions, il atteint une forme d’accomplissement. En définitive, il devient un individu conscient, pourvu de tous les outils nécessaires pour affronter le monde.

Dans les romans d’Austen, le mariage est la conclusion heureuse d’une évolution psychologique et non la récompense de péripéties. Ainsi les héroïnes suivent un schéma qui préconise la construction de son identité avant l’heureuse issue symbolisée par le mariage. Même si la trame narrative repose sur la perspective d’une union, on voit que celle-ci ne s’impose jamais spontanément. Sans cesse le mariage est repoussé à plus tard à cause de l’assaut des préjugés, du manque de maturité des héroïnes, de l’emprise que les émotions ont sur elles, et qui les pousse à commettre des erreurs.

Le mariage n’est pas la seule conclusion à ces romans, et c’est d’ailleurs ce qu’indiquent les titres de ses œuvres.

La sociabilité

C’est une autre dimension à ne pas négliger et qui va de soi : pour voir ce qu’il y a sur le « marché du mariage », il faut être vu. Aussi est-il nécessaire pour les jeunes filles de fréquenter les salles de bals. Cela, afin de faire des rencontres et d’être introduites dans les sociétés où l’on veut se faire une place. Les salles, cela vous rappelle quelque chose ? Eh bien, si votre mère ou un parent vous a recommandé d’aller aux fêtes, sachez qu’il y a des siècles une autrice en parlait abondamment dans ses romans.

Mais attention toutefois : la sociabilité est bonne lorsqu’on sait user d’un attirail de savoir être. Les codes en vigueur sont rigoureusement passés au peigne fin et les romans se font fort de montrer combien ce critère l’emporte presque sur des considérations plus importantes. Savoir jouer d’un instrument, parler raisonnablement et bien tout en étant une compagnie que l’on réclame – en un mot, susciter l’intérêt sans l’exiger par un comportement outrancier – toutes ces marques d’une bonne éducation sont nécessaires.

Les relations intrafamiliales

Dans Orgueil et Préjugés, il y a un type de personnages qui m’a toujours partagée entre l’exaspération et l’amusement : les figures maternelles. Sans aller dans la caricature, l’autrice nous propose un éventail varié de mères tour à tour insupportables, affectueuses ou stratégiques. Qu’on les aime ou non, ces mères de famille, même dans les moments où leur bon sens se noie dans des éclats incontrôlables, témoignent de leur lucidité face à une société qui n’offre pas toujours de seconde chance à celles qui laissent passer l’opportunité d’un mariage.

Elle nous montre des situations variées où la pression sociale peut miner mais aussi renforcer les liens mère-fille. Si vous lisez Le Cœur et la Raison (aussi traduit par Raison et Sentiments), vous apprécierez la complicité sans faille qui soude les liens de la mère et de ses filles. La paisible mère de Northanger Abbey a un rapport très pragmatique à la vie, et prend soin de sa fille à sa façon, c’est-à-dire en lui laissant le soin de tirer toutes les conclusions possible de ses aventures.

Des lectures pleines de surprises

A l’inverse, vous pouvez oublier cela en ouvrant les pages de Persuasion, où la question du statut social oppose nettement les opinions des trois sœurs tout en influençant leur attitude : aussi les liens qui les unissent sont fragiles, et reposent essentiellement sur le dévouement d’Anne, le personnage principal. On retiendra néanmoins qu’Orgueil et Préjugés offre un savoureux éventail des relations intrafamiliales. Dans cette société où la survie de chacune se gagne par le biais d’un mariage avantageux, c’est tout à l’avantage des cadettes écervelées qui ont bien retenu la leçon : il faut s’amuser, flirter, prendre du bon temps !

Outre le plaisir de lectures riches en intrigues variées, avec une belle palette de personnages hauts en couleurs, la lectrice d’aujourd’hui pourra trouver dans l’œuvre de Jane Austen un écho à certains pans de sa vie. Elle peut passer de bons moments en (re)découvrant ces œuvres qui offrent un témoignage d’une société où le bonheur individuel est en butte avec les injonctions sociales, mais où des issues heureuses sont également possibles. Que l’on apprécie ou non l’œuvre de cette brillante autrice, on n’éprouvera pas de peine à retrouver dans notre entourage un certain M. Collins, une Mme Bennett (et l’époux aussi), des Catherine de Bourgh ou d’infâmes Mme Jennings.

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