Quand on se surprend à rire dans un film qui évoque le deuil.
Chagrin et désolation
Chagrin et désolation s’abattent dans le foyer des Giri lorsque Astik, le fils chéri, meurt subitement.
Les parents sont dévorés par l’affliction mais doivent recevoir les proches dans ce foyer où la tragédie s’est produite. Désormais, le deuil est un invité invisible.
Tout le monde fait état de sa stupeur face au constat qu’Astik n’est plus qu’un défunt. Tout le monde… sauf sa veuve, Sandhya. Sandhya, la jeune femme qu’on a enlevé à ses ambitions personnelles pour une union avec un homme qui est resté un inconnu.
Comment vivre le deuil d’un époux qui n’a jamais été qu’un étranger ? Cette situation inédite est traitée dans un mélange de registres qui font passer des rires aux larmes.
Affliction et grotesque
L’intrigue commence alors que la mort d’Astik est connue de tout le monde. Les proches, plus ou moins affectés par la disparition, posent leurs bagages pour un séjour assez exceptionnel. Les rites hindouistes vont ponctuer le film et accompagner l’évolution des protagonistes. Parmi eux, la tante divorcée et son fils préado, la belle-sœur insupportable et son époux excentrique, sans compter le cadet du père, un oncle collet monté (il en faut toujours un) qui s’attache à ce que chacun observe la place qui lui correspond.
Mais ce rassemblement insolite ne sera pas sans produire des étincelles. Pendant ces quelques jours où le deuil exige une certaine rigueur spirituelle et de la retenue, les mauvaises langues vont bon train, les habitudes incongrues se maintiennent. De même que la mort d’Astik est inattendue, la conduite de ses proches est absurde.
Sandhya, la veuve joyeuse ?
Et Sandhya dans tout ça ? Incarnée par la sublime Sanya Malhotra, Sandhya détone par sa réaction. Son mari est mort, mais elle veut du soda et des chips. Loin d’incarner l’épouse éplorée, elle exprime avec une franchise à la fois innocente et désarmante son incapacité à éprouver du chagrin pour un mari qu’elle a peu côtoyé. Fruit d’un mariage arrangé, leur union s’est conformée aux attentes des deux familles, sans pour autant unir les cœurs.
Malgré tout, Sandhya est présente pour ses beaux-pères et son beau-frère Alok (Chetan Sharma) lorsque les tensions familiales grossissent et que les rites du deuil deviennent trop lourdes.
Errance chez les fantômes
Les choses évoluent cependant. Alors qu’elle recherche un document dans les affaires de son époux, Sandhya découvre avec stupeur l’idylle ancienne entre Astik et une certaine Aakansha Roy (Sayani Gupta), dont une photo a été conservée. L’insensibilité apparente se brise telle une glace pour laisser la place à une somme complexe de sentiments.
Quelle était la place de cette jeune femme dans le couple que formait Astik et Sandhya ? Et si Sandhya avait été bafouée pendant leur mariage ? L’héroïne doit-elle honorer le souvenir d’un homme qui n’était peut-être pas aussi honnête qu’on le pensait ? A mesure qu’elle va rechercher des explications sur cette découverte inattendue, les rituels continuent, les proches poursuivent leur existence dans cette espèce de huis clos, et Sandhya se redécouvre avec douleur et beaucoup d’espoir.
Avis personnel
Pagglait, en hindi, évoque la folie. Une folie qu’on prête volontiers à Sandhya, celle qui ne pleure pas son mari. C’est aussi un terme indiqué pour décrire tous ces membres de la famille, pas plus sains d’esprit les uns que les autres, rongés par l’appât du gain, le souci de l’apparence et l’hypocrisie.
Si la folie de Sandhya est pointée, elle n’en est pas moins saine, parce qu’elle lui permettra de secouer les chaînes invisibles qui la maintenaient.
Et si Sandhya scandalise, laisse bouche bée, elle n’en est que plus attachante. Elle ne traîne pas d’accablement, trop troublée par l’évènement qui l’implique pour en être totalement indifférente. Son point de vue, trop neutre en apparence, est la brèche idéale permettant au spectateur d’accompagner la famille aveuglée par le désarroi. Peu à peu, sa personnalité nous paraît plus nette, et ses sentiments soulever compassion et sympathie.
Avec une lucidité pointue, la réalisation s’applique à montrer l’évolution des protagonistes et atténue les défauts horripilants en relevant leur délicatesse cachée.
C’est aussi une occasion d’interroger la place de chaque membre de la famille par rapport au défunt, mais surtout celle de Sandhya. Transformée par l’expérience du deuil, elle va redécouvrir la force des choix.
Ce film est une agréable découverte, dans la lignée des films réalistes interrogeant les rouages de la société indienne.