Il existe de fâcheux tête-à-tête, de ceux qu’on voudrait éviter à tout prix.
J’ai toujours redouté les confrontations avec mes tantes, et à juste titre. Ces femmes, respectables et redoutables à la fois, ont toujours formé à mes yeux une espèce de baromètre destinée à évaluer mon niveau sur tous les plans.
Irréprochables dans leurs complets en wax, enveloppées parfois dans des tissus de dignité, les plus rêches d’entre elles manient ce regard froid qui, en une seconde, résument vos quelques années de vie sur Terre, selon que vous maîtrisiez ou non votre langue maternelle, connaissiez plus ou moins bien les règles élémentaires du savoir-être et que vous sachiez vous entourer des cousines de votre âge.
Pour n’avoir jamais réussi à cocher correctement toutes les cases, je connais d’autant plus la valeur de ces confrontations solitaires – auxquelles n’échappent pas, du reste, mes autres cousines plus extraverties – que je n’ai pas toujours eu la faveur de ces matrones qui initient ces rapides examens.
« Tu es muette ? », « Tu ne m’as pas vue passer, tout à l’heure ? Alors pourquoi tu n’as pas salué ?… Ah, tu m’avais saluée ? Pourquoi tu n’élèves pas la voix, pour qu’on t’entende… » Nombreuses sont les questions qui semblent les tourmenter !
Mais, avec le temps, lorsque vous devenez une fille raisonnablement mariable, les critères d’évaluation varient sensiblement. Les petites taquineries, quoique mordantes, sont plus doucereuses, et il n’est pas rare qu’aux réflexions anodines sur l’âge succède la fameuse question : « A quand le mariage ? »
Les questions peuvent vous être posées directement, mais les tantes les plus avisées questionnent directement les mères et, en fonction de la réponse, glissent adroitement le nom d’un potentiel soupirant.
Gare, alors, à la malheureuse qui aura transmis son refus par le même intermédiaire, et qui se retrouverait seule avec sa tante renfrognée dans le grand salon silencieux, devant rendre des comptes sur sa manière de congédier les propositions de mariage !